« La notion de patrimoine désigne à la fois l’histoire, les racines et les traces qu’ont laissés les hommes et les femmes au fil du temps dans l’environnement, le cadre de vie, les savoir-faire, l’imaginaire. Elle englobe aujourd’hui à la fois le patrimoine matériel et immatériel. Au fil des années, elle s’est considérablement élargie. De plus en plus de Bretons se la sont appropriée. Cela étant, elle a une dimension personnelle et subjective. Pour certains, tel élément aura une valeur patrimoniale, pour d’autres non. Pour d’anciens élèves, une école, même relativement récente et de style assez banal, peut revêtir un caractère patrimonial. Dans ce cas, entrent en jeu aussi bien son intérêt architectural que sa dimension sentimentale. » Serge Duigou, historien local

Après avoir été dix ans journaliste, Serge Duigou s’est tourné vers l’histoire. Il s’est engagé auprès de l’association des Amis de la conserverie Alexis Le Gall (ACAL) dans le cadre du projet muséal mis sur les rails à partir de 2016. Fin connaisseur de l’histoire de Loctudy et du Pays bigouden, il a mis ses compétences au service du projet afin de mieux situer ce patrimoine industriel dans le contexte socio-économique du tournant du XXe siècle. Il nous fait part des défis qu’il a dû relever à cette occasion.

 

 

son parcours professionnel

Je suis historien depuis une quarantaine d’années. Je ne l’ai pas toujours été. Je souhaitais devenir enseignant. J’ai fait des études de lettres à Brest. Mais, à l’issue de ces études, j’ai pris conscience que ce n’était pas ma vocation. J’ai été journaliste pendant une dizaine d’années. J’ai commencé à mener des recherches historiques en parallèle, pour mon plaisir personnel. Au départ, c’était juste un passe-temps. De fil en aiguille, j’en ai fait mon métier. Je me suis spécialisé sur l’histoire de la Bretagne, en commençant par le Pays bigouden, d’où je suis originaire. J’ai décliné le fruit de mes recherches dans des ouvrages, des articles, des conférences et des visites guidées sur le terrain.

 

 

sa notion de patrimoine

La notion de patrimoine désigne à la fois l’histoire, les racines et les traces qu’ont laissés les hommes au fil du temps dans l’environnement, le cadre de vie, les savoir-faire, l’imaginaire. Elle englobe le patrimoine matériel et immatériel. Dans un premier temps, je me suis surtout intéressé au patrimoine matériel (calvaires, chapelles, églises, manoirs, mégalithes…). Dans un second temps, stimulé par mon épouse, passionnée par les métiers du fil, la broderie, la dentelle et présidente de l’association des Amis du musée bigouden, je me suis plongé dans le patrimoine ethnographique du Pays bigouden, un domaine passionnant dont on n’a pas fini de faire le tour.

Au départ, quand j’ai commencé à m’intéresser au patrimoine – c’était dans les années 1960 – le bâti ancien l’emportait largement. Par la suite, a émergé la notion de « petit patrimoine » (lavoirs, fontaines, moulins…). Enfin, plus récemment, les patrimoines ethnologique et industriel ont été reconnus. Il y a quarante ans, le patrimoine industriel était méconnu et peu considéré. Il est plus facile de repérer un calvaire ou un manoir qu’une ancienne usine. Jusqu’à il y a peu, il était plus valorisant de se battre pour sauver une chapelle en péril qu’une conserverie désaffectée !

Au fil des ans, la notion de patrimoine s’est donc élargie. On a aussi pris conscience dans les régions littorales qu’il existe un patrimoine maritime conséquent. La revue Le Chasse-Marée de Douarnenez a mené un travail remarquable afin de le mettre en avant. Elle a réussi à vulgariser cette notion, à la rendre intelligible et accessible au grand public.

Le patrimoine est désormais reconnu par une part croissante de nos concitoyens. De plus en plus de Bretons se la sont appropriée. Cela étant, cette notion a une dimension personnelle, subjective. Pour certains, tel élément aura une valeur patrimoniale, pour d’autres non. Pour d’anciens élèves, leur école primaire, même relativement récente et de style assez banal, peut revêtir un caractère patrimonial. Dans ce cas, entrent en jeu autant son intérêt architectural que sa dimension sentimentale. En résumé, la notion de patrimoine, polyvalente et évolutive, amène à susciter le débat au sein de la population. En ce sens, elle est stimulante.

 

 

Son rôle dans le cadre du projet muséal

J’ai participé au projet muséal aux côtés de l’association des Amis de la conserverie Alexis Le Gall (ACAL) en tant qu’historien. Au départ, n’étant pas issu de ce milieu, je n’avais guère de connaissances sur les techniques de mise en conserve du poisson. En revanche, j’ai beaucoup travaillé sur l’histoire de Loctudy et du Pays bigouden en général.

Mon rôle fut, dans un premier temps, de contextualiser la place et l’apport de la conserverie au sein de l’histoire socio-économique de la commune. L’usine a joué un rôle non négligeable au début du XXe siècle à Loctudy à une époque où la localité, à l’origine exclusivement rurale, s’est progressivement tournée vers la mer. J’ai tenté de mettre en lumière le rôle de la conserverie dans cette transition historique. Elle a stimulé l’essor du port en offrant de nouveaux débouchés aux marins pêcheurs. Avant l’installation de l’usine, le port de Loctudy comptait peu de bateaux de pêche. Trois ans après son ouverture, la flottille avait doublé. Non seulement la conserverie a joué un rôle en terme de création d’emplois, notamment pour les femmes, mais elle a également contribué à ce que la commune se tourne durablement vers les activités maritimes.

J’ai aussi été amené à souligner la singularité de la localisation de la conserverie, construite dans le secteur balnéaire de Loctudy, à proximité de villas bourgeoises et d’un hôtel. C’est une configuration originale. Les voisins immédiats de l’usine, l’hôtelier et les propriétaires qui accueillaient les touristes de la Belle Époque, auraient pu voir d’un mauvais œil l’installation d’un tel bâtiment. Il était dès lors intéressant de cerner l’identité du fondateur, de montrer comment la famille Vallière des Filières se positionnait dans la bourgeoisie locale. Ces aspects économiques, géographiques, sociologiques ont fait partie des volets sur lesquels j’ai apporté mon regard.

J’ai, dans un dernier temps, participé à l’enrichissement iconographique du futur musée.

 

 

ses grands défis 

Nous avons été confrontés à une relative rareté d’archives publiques pour la première période de l’usine. Les archives d’une entreprise sont rarement conservées, une fois que l’activité a cessé. Elles ne finissent pas aux archives départementales. Lors de la fermeture d’un établissement industriel, les archives sont soit jetées, soit au mieux réparties parmi les membres de la famille de l’usinier. Au fil des décennies et des successions familiales, elles sont dispersées, émiettées entre les descendants et finissent par disparaître.

Dans le cas de la conserverie Le Gall, nous avons la chance que Monsieur Jean-Philippe Chapalain et son épouse aient conservé les archives de l’usine à partir de son achat par Alexis durant la Première Guerre mondiale. En revanche, ce ne fut apparemment pas le cas des documents de la famille ayant précédé les Le Gall, celle qui a construit la conserverie en 1901. De l’activité des Vallière des Filières, il reste peu de traces dans la presse locale, à part en 1909 lorsqu’est survenue une grève des ouvrières. À ce sujet, je tiens à saluer le remarquable travail de recherche archivistique mené par Marie Prigent-Viegas et Amélie Garrot-Hascoët.

Dans le domaine iconographique, nous restons quand même toujours sur notre faim. Les seules photos dont nous disposons à l’heure actuelle pour illustrer la période Vallière, ce sont les deux cartes postales des sardinières s’activant autour des tables de séchage dans la cour devant l’usine. Nous n’avons aucun portrait de la famille. C’est une grande frustration de n’avoir aucune représentation picturale du fondateur de l’usine. Les données écrites sont fondamentales mais elles n’ont pas le fort impact visuel des photographies, a fortiori pour un musée. Les photos donnent une épaisseur humaine au discours et marquent les esprits par le biais des expressions du visage, des attitudes, des gestes, des vêtements, etc. Je garde espoir qu’un jour, lorsque le musée sera ouvert au public, des descendants Vallière nous contactent pour nous communiquer des photos de famille.

Le second défi, celui-là tout à fait personnel, que j’ai dû relever portait sur ma large méconnaissance dans le domaine des techniques de la conserve. Grâce à mes collègues du groupe de travail, j’ai un peu progressé !

 

 

son plus beau souvenir

J’en ai plusieurs. L’expérience m’a beaucoup intéressé, beaucoup appris et m’a apporté de nombreuses satisfactions. En premier lieu, avec l’ensemble des acteurs, les élus municipaux (en premier lieu Jean Laouénan et Pierre Quillivic), les professionnels, les deux présidents successifs de l’association, Guy Cosnard et Pierre-Jean Desfossé, et l’ensemble des bénévoles d’ACAL, nous avons travaillé dans une excellente ambiance de confiance et d’écoute réciproque. Nos compétences diverses et nos parcours différents ont été non pas un obstacle mais un plus pour le projet. Je tiens au passage à saluer la ténacité et le sens de la diplomatie de Jean Laouénan, homme de dialogue qui a toujours été soucieux d’arrondir les angles et d’arriver à un accord avec les différents acteurs du dossier.

En second lieu, j’ai été heureux de constater qu’à chaque fois que nous avons organisé des portes ouvertes, des séances d’information et des conférences autour du projet muséal, de nombreux Loctudistes ont répondu présent. Lors des portes ouvertes des Journées du Patrimoine de septembre 2020, ils ont patiemment fait la queue. Élus et membres de l’association étaient présents pour les accueillir. Nous n’avons pas arrêté pendant les deux jours. Nous avons dû refuser des visiteurs afin de respecter la jauge. Les retours du public ont été très positifs. Le Musée de la conserverie Alexis Le Gall entre progressivement mais sûrement dans le paysage local et les esprits.

Je me félicite surtout que le projet muséal, compliqué, pas évident, ait abouti, un projet de longue date puisque Jean-Philippe Chapalain, le propriétaire des lieux avec son épouse, l’avait en tête depuis plus de trente ans. Ce projet ambitieux aurait très bien pu ne pas voir le jour tant les défis à relever étaient considérables. C’était un sacré pari mais il est en passe d’être gagné. La prochaine ouverture du musée ne signifiera pas la fin de l’aventure. Il est appelé à se développer, s’enrichir, devenir encore plus attractif au fil des années.